Anciennes familles de Provence
 

 

Honoré de Laugier-Porchères

(1572-1655)

académicien et poète

 

Peu de choses nous sont parvenues sur lui, ainsi que nous l'explique une Histoire des quarante fauteuils de Tyrtée Tastet (1855, t.IV, p.331-332 - Gallica©bnf.fr)

Tallemant des Réaux, dans ses Historiettes, nous en apprend plus mais en termes moins élogieux, tant sur le talent, que sur les qualités de l'homme du monde. Pour l'apparence, il nous dépeint l'homme comme grand et bien fait, mais habillé de façon extravagante, dépareillée et sans goût.

"Jamais on ne lui vit un habit neuf qu'il n'eût un vieux chapeau, de vieux bas ou de vieux souliers ; il y avait toujours quelque pièce de son harnois qui n'alloit pas bien. La maréchale de Thémines disoit qu'il étoit "comme le diable qui a beau se faire agréable aux yeux de ceux qu'il veut tenter : il y a toujours quelque griffe crochue qui gâte tout" C'est de lui que Sorel se moque dans Francion, où un poète demande son pourpoint d'épigramme etc."

Le poète Voiture s'en prit aussi à sa tenue :

"Vous êtes seigneur, Monsieur de Porchères,
chacun vous révère et vous porte honneur,
changez de jartières, Monsieur le rimeur"

Cependant, Laugier-Porchères avait grâce aux yeux de la princesse de Conti et se rendait tous les jours chez elle :

"Elle lui fit avoir l'emploi de faire les ballets et autres choses semblables; pour cela, il avoit douze cents écus de pension. Il voulut en faire une charge et l'avoir en titre d'office, mais il ne savoit quel nom lui donner : il ne vouloit pas que le nom de ballets y entrât, et après y avoir bien rêvé, il prit la qualité d'intendants des plaisirs nocturnes"

Pour le talent, on s'en fera peut-être une idée par son plus célèbre sonnet inspiré par les yeux de Madame de Beaufort (qui n'est autre que Gabrielle d'Estrées, marquise de Monceaux puis duchesse de Beaufort, maîtresse d'Henri IV), qui valut d'ailleurs à Porchères une pension de 1.400 louis et qui fut publié plusieurs fois dans les recueils de l'époque, mais auquel Tallemant accroche sans appel le qualificatif de ridicule. On en jugera. Toutefois, concernant l'oeuvre, la difficulté vient de ce que Porchères étaient deux poètes : Porchères d'Arbaud et Porchères-Laugier :

"Les recueils du temps contiennent un assez grand nombre de pièces de vers signées Porchères, sans qu'il y soit fait aucune distinction des deux poètes qui ont porté ce nom".

La guerre des Porchères avait lieu, d'ailleurs, entre eux :

"chacun d'eux traitoit l'autre de bâtard et soutenoit qu'il n'étoit pas de la maison de Porchères, assez bonne en ce pays-là; mais ils s'accordoient en un point, c'est qu'ils étoient l'un et l'autre de méchants auteurs"

Il faudra attendre un opuscule de Léon de Berluc pour éclaircir cette querelle de vanité, et la confusion entre les deux :

"...confusion qui devait inévitablement se faire, et qui déjà, de leur vivant, était quotidienne, entre les deux homonymes, tous deux provençaux, tous deux poètes, amis de Malherbe et membres de l'académie française à sa naissance."

D'après des documents originaux, Berluc établit que Laugier et d'Arbaud n'étaient point parents, mais que des liens existaient cependant entre les deux familles, qu'il n'y eut aucune maison de Porchères en Provence, si ce n'est un petit fief servant, comme le voulait la coutume, d'appellation personnelle ou familiale, même si la possession de ce bien fut éphémère et sortie déjà des mains de celui qui en prenait le nom.

Enfin, Berluc-Pérussis donne un critère qui permet de reconnaître les deux poètes : Laugier n'écrivit guère que des poésies galantes, d'Arbaud ne sortit pas, au contraire, du genre religieux.

 

Les Yeux

(sonnet sur les yeux de la marquise de Monceaux)

Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des dieux :
Ils ont dessus les rois la puissance absolue.
Dieux ? Non, ce sont des cieux ; ils ont la couleur bleue
Et le mouvement prompt comme celui des cieux.

Cieux ? Non, mais des soleils clairement radieux
Dont les rayons brillants nous offusquent la vue.
Soleils ? Non, mais éclairs de puissance inconnue,
Des foudres de l'amour signes présagieux ;

Car s'ils étaient des dieux, feraient-ils tant de mal ?
Si des cieux, ils auraient leur mouvement égal.
Deux soleils, ne se peut ; le soleil est unique.

Eclairs ? Non ; car ceux-ci durent trop et trop clairs
Toutefois je les nomme, afin que je m'explique,
Des yeux, des dieux, des cieux, des soleils, des éclairs.

 

Les cheveux

(stances sur les cheveux de la marquise de Monceaux)

Doux chenons de mon Prince, agréables supplices,
blonds cheveux, si je loue ici votre beauté,
on jugera mes vers pour être vos complices,
criminels comme vous de lèse-majesté;

J'ai marié ma faute avec ma repentance,
mais voyant les liens dont il est attaché,
comme il aime son mal, je chérie mon offense,
et tiens le repentir pire que le péché;

Imitant vos rigueurs pour mériter ses gênes,
je bénierais mes vers s'ils m'ont fait aujourd'hui,
fauteur de votre crime et digne de ses chaines,
coupables comme vous et puni comme lui;

Beaux geôliers de mon Roi, son âme prisonnière
dédaigne sa franchise et non pas sans raison:
car si vous la tenez en vos rêts de lumière,
au moins vous n'êtes pas une obscure prison;

Le tributaire amant qui sortit du dédale,
conduit par un filet favorable à ses voeux,
ne quitterait jamais cette geôle royale,
si l'on ne lui donnait un fil de ses cheveux;

Ce riche labyrinthe, oeuvre de la nature,
dans ses dorés contours arrêterait ses pas,
et quand vous lui rendriez, même avec usure,
sa liberté première il ne la voudrait pas;

Beau poil, n'êtes vous point la rivière Pactole,
qui flotte précieuse en riches ondes d'or ?
car cet or épandu flottant d'une onde molle,
en a toute la forme et la couleur encor;

Votre corps n'est pas d'air, d'eau, de terre et de flamme,
mais de quelque élément plus pur que tous ces corps,
le ciel vous a donné un amour pour une âme,
qui vous rend tous vivants et qui nous rend tous morts;

Subtile trame d'ambre en crépillons semée,
qui devisez d'amour avecque les zéphyrs,
ils reçoivent de vous leur odeur enbaumée,
et vous recevez d'eux leurs amoureux soupirs;

Voux tremblez, beaux cheveux, vous par qui chacun tremble,
en pouvoir tous divins, en douceur tous humains,
et que pouvez-vous craindre et tant et tous ensemble,
et tous frères gémeaux aussi bien que germains ?

O beaux rayons frisés, crêpés frangeons de flamme,
petits filets de feu qui jamais ne s'éteint,
Quoi ? Vous êtes si prêts du front de votre Dame,
et vous ne fondez pas la neige de son teint ?

Contraires qualités, vous êtes apaisés,
pour faire aimer et craindre un si divin pourpris,
l'une enflamme des rois les flammes embrasées,
l'autre galce de peur le reste des esprits.


Sonnet à mademoiselle de Sponde
sur la mort de son mari

Hélas ! que ton mari fut digne de sa femme,
Femme par tes vertus digne de ton mari,
Et toi de lui chérie, et lui de toi chéri
Vous faisiez dans deux corps, de deux âmes une âme

Vous brûlâtes tous deux d’une semblable flamme
De mêmes dons du ciel chacun fut favori
Tous deux blessés d’un trait, dont nul ne fut
Et tous deux attachés d’une divine trame

Mais ton mary est mort : et tu vis en ton deuil
Tu es seule en ton lit, il est seul au cercueil
Et sa mort de ta mort n’est encore suivie

Non, non, vous partagez un réciproque sort :
Il prend dedans ton coeur la moitié de ta vie
Tu prends dans son tombeau la moitié de sa mort.

H. Honoré de Laugier
écuyer de Porchères

 

On trouve sur lui, encore, cette rime, fluide et courtoise, mais exagérée, dans La Muze historique, ou recueil de lettres en vers contenant les nouvelles du temps, de Jean Loret (Lettre XLII du 8 novembre 1653) :


L’illustre monsieur de Porchères
Dont les muzes furent si chères
A tous les esprits bien tournez
Qui pour les sciences sont nez,
Quoy qu’il fût un homme aussi rare
Qu’étoit jadis monsieur Pindare,
La Mort, toutefois, le férut,
Le jour que Renaudot mourut,
Et vid sa dernière journée
En l'octante-et-douzième année
C’étoit un génie excellent,
Et jadis son plus beau talent,
Admiré des ames choizies,
Paroissoit dans ses poësies,
Qui les coeurs des reines et rois
Ont charmé quantité de fois,
La cour leur servant de téatre
Dès le règne de Henry quatre,
Et, comme son esprit fécond
Fut grand, illuminé, profond
Il eut honorable place,
par l'aveu de tout le Parnasse
et de pluzieurs doctes vivans,
dans cette troupe de sçavans
(Des plus beaux arts la noble amie)
Qu’on apelle l’Académie ;
D’icelle il fut fort révéré ;
Mesme on dit qu’elle l’a pleuré,
Quand on le mit en sépulture,
Du moins autant que feu Voiture.
 

 


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